Au-delà du tapis : le blog

La pire version de toi-même
La saison des injonctions a démarré ! Et malheureusement, elle dure de plus en plus longtemps. Des fêtes de décembre à la rentrée de septembre, en passant par janvier et ses résolutions, février et la Saint Valentin, puis la préparation d’un summer body… Et si on arrêtait de vouloir être toujours mieux et de faire toujours plus ?
(Pour cet article, je te tutoie, ne m'en veux pas, je trouve que c'est plus adapté.)
Et si on arrêtait de suivre ces injonctions de toujours être au top et en pleine forme ?
Attention, pas n’importe quelle forme : peau et dents bien blanches (ou peau juste délicatement dorée pour l’été), inversement cheveux moins blancs, kilos en moins (ceux du corps et de la tête), moins de stress, plus de sport, de yoga, de méditation, etc. Et si tu te mets au sport, on va exiger de toi d’arriver à un certain niveau, et d’y arriver vite (l’exercice du lever de coude pour boire ta bière n’étant pas suffisant). Si tu débutes le yoga, tu seras prié.e de te challenger dès les premières séances. Tout ça pour : devenir la meilleure version de toi-même !
Cette expression en vogue me fait dresser les cheveux sur la tête. Car cette injonction à devenir la meilleure version de soi-même suppose que la version actuelle est… à chier. Nous sommes en permanence bombardé.e.s de messages nous laissant croire que nous ne sommes pas, actuellement, une version valable de l’humain ; et que par ailleurs nous ne l’avons jamais été ! Que nous sommes en friche et que le boulot est immense !
Mais… de quelle version parlons-nous ? Décrétée et validée par qui ?
Cela s'inscrit dans un courant actuel du bien-être / mieux-être extrêmement pervers, du style "tu attires ce que tu vibres", "si tu veux l'abondance, ouvre-toi à recevoir" ou "si tu veux, tu peux". À savoir : tu es seul.e responsable de tout ce qui arrive dans ta vie. Donc, si tu es maltraité.e, pauvre, malade, en dépression, en perte de sens dans ton boulot ou en difficulté pour trouver un emploi, en perte de connexion dans ton couple, avec tes enfants, si ta voiture tombe en panne ou que tes canalisations de salle de bain sont bouchées, c’est uniquement et exclusivement de ta faute. Il y a là un gommage total de l'interconnexion avec nos environnements structurel, politique, éducatif, culturel, social dans lesquels nous évoluons.
Cerise sur le gâteau si tu es une femme : devenir la meilleure version de toi-même te permettra d'être au top de la disponibilité et du service pour ton entourage. Sans commentaire.
Malheureusement, ce point de vue est très présent dans le monde du bien-être. Et c'est bien dommage. Car, même bien intentionnés, ces discours contribuent à :
- nous culpabiliser de ne jamais être assez bien en tant qu'individus (ce qui peut engendrer des maladies, mener à la dépression et au suicide),
- occulter les responsabilités politiques et sociales (et donc minimiser notre implication citoyenne, notre solidarité et nous désengager du collectif),
- renforcer les inégalités (avec des personnes, communautés, quartiers, totalement mises de côté car n'ayant pas les ressources pour correspondre à ce qui est attendu),
- multiplier les conflits généralisés, le colonialisme et l'intolérance (des humains auto-proclamés meilleurs, supérieurs, qui s'octroient le droit d'une mainmise sur d'autres, jugés inférieurs).
Reste comme tu es !!
Alors, forcément, en contrepied, j'ai décidé de rester la pire version de moi-même. Parce que la version actuelle n'est pas si mal. Assez cabossée, carrément pas parfaite et, comble de l'horreur, en pleine ménopause (ce dernier point fera l'objet d'un article spécifique !) ; personne n'est parfait et c'est totalement OK.
Parce que ça me plaît d'être en friche car c'est le principe de la vie et du yoga : découvrir, tester, explorer, s'émerveiller, chuter, réessayer. Pas en visant ou faisant mieux, parfois juste autrement. Ou pas.
Parce que l'avant-dernière chose dont j'ai envie en m'installant sur mon tapis de yoga, c'est de me mettre la pression.
Parce que la dernière chose dont j'ai envie en m'installant sur mon tapis de yoga, c'est de me laisser mettre la pression par d'autres.
Parce que de mon point de vue, le yoga est avant tout un outil d’exploration, de découverte et de connaissance de soi. Pas nécessairement un outil d’amélioration de soi. Oui, bien sûr, une transformation peut s’opérer au fil des pratiques, mais je ne crois pas qu’elle doive être recherchée à tout prix, ni forcée, ni traquée à l’aide de multiples indicateurs.
Alors toi aussi je t'encourage à rester la pire version de toi-même. Parce que je suis certaine que la version actuelle est déjà magnifique et formidable (sauf si tu es sociopathe et/ou dictateur.rice mais dans ces cas je doute que tu lises ces lignes). Je t'invite à ne pas chercher à atteindre un but improbable et inatteignable, défini par d'autres selon un idéal qui ne te correspond pas forcément.
Pour prolonger :
Yoga, le nouvel esprit du capitalisme de Zineb Fahsi, Textuel éditions, 2023.
Happycratie : comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies de Eva Illouz et Edgar Cabanas, Premier Parallèle éditions, 2018.
Foutez-vous la paix ! de Fabrice Midal, Pocket, 2018.
En exploration sur ton tapis de yoga : pour quelques minutes, assieds-toi ou allonge-toi le plus confortablement possible, une main sur le coeur, une main sur le ventre. Respire le plus naturellement possible. Prends le temps de te poser, te déposer, te reposer. C'est tout, et c'est déjà beaucoup !
Au-delà de ton tapis de yoga : autorise-toi à dire non à ce qui ne te fait pas vibrer. Une obligation, une sortie, une demande que tu n'as pas l'envie ou l'énergie d'honorer, etc. Quand c'est trop pour toi, dis non.
Cet article est une version remaniée de la newsletter mensuelle d'avril 2025.